• "Et toi, tu fais quoi dans la vie ?"

    Régulièrement, la vie sociale du consultant le met face à un abîme menaçant de perplexité. A moins d’être complètement asocial et de vivre reclus dans l'open space (riez, mais je suis sûre que certains de mes collègues n’ont pas d’autre foyer) (ce sont les mêmes qui préfèrent pisser des slides de Power Point plutôt que se laver), à moins de cultiver l’entre-soi au point de n’avoir pour amis que des consultants (promesse de dépression nerveuse), nous sommes bien forcés d’affronter le monde extérieur et cette douloureuse et sempiternelle question : « Ouais ok, mais c’est quoi au juste ça "consultant" ? »

    Plusieurs attitudes sont possibles dans une situation de ce genre. On peut éluder lâchement la demande (« tu sais, ça va pas t’intéresser… »), on peut se la jouer hautain (« j’te jure, c’est bien trop complexe pour que tu comprennes »), ou bien on peut tenter l’impossible : décrire ce qu’est effectivement un consultant. 

    Ce n’est pas tant que notre activité quotidienne soit très compliquée (comme le faisait judicieusement remarquer une de mes collègues : « ce qui est rassurant dans notre métier, c’est qu’il ne demande souvent aucune compétence »), mais elle est constamment entourée d’un jargon répugnant, qui s’imprègne dans les moindres synapses de notre cher cerveau et nous empêche d’exprimer la moindre pensée dans une langue saine et fluide. Face à un (heureux) non-initié, nous nous retrouvons ainsi à tester des formulations bancales, qui nous enfoncent généralement dans un discours à l’obscurité telle que l’interlocuteur dévoile peu à peu la profondeur de ses orbites.

    -      Bah… Euh… Je fais du pilotage, et puis… de l’orga, du SI… tout ça…
    -      Attends, attends, je te suis pas. Du pilotage ? Tu conduis une bagnole de course ?
    -      (rire poli) Non, mais je fais de la gestion de projet, quoi.
    -      De quel genre de projet ?
    -      Bah en ce moment, par exemple, j’accompagne la mise en place d’un système d’information…
    -      Ah ok, j’ai pigé ! Tu fais de l’informatique, en fait !

    A ce stade de la discussion, vous pourriez très bien conclure que oui, oui, c’est ça, vous faîtes de l’informatique et tromper ainsi votre interlocuteur par confort, mais vous risquez alors d’être sollicité toute la soirée à propos de problèmes de logiciels machin-chose et d’interfaces bidule. Si vous êtes une bille en informatique, ce n’est définitivement pas la bonne option (croyez-moi sur parole, je sais ce que c’est que d’avoir l’air complètement à l’ouest). Théoriquement, il vous faudrait donc corriger et préciser. Mais, en ce qui me concerne, c’est généralement le moment où je ne peux m’empêcher de penser que je ne suis moi-même pas convaincue de connaître la réponse.

    C’est drôle : je suis payée à faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi.


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