• Un nombre non négligeable (autant dire la majorité) des consultants de ma boîte font partie d’un groupe social aux caractéristiques, aux codes et aux stigmates aisément identifiables au sein d’une population donnée. Je parle bien sûr du…



    Suis-je bien placée pour les critiquer ? Certes non, compte tenu de mon parcours notoire de « ouais, une fois j’ai eu 11 en maths, c’était horrible, j’ai voulu me suicider ». Mais est-on jamais bien placé pour critiquer quoi ou qui que ce soit ? Mmh ? Ah ! Vous êtes coincés, hein ? Vous la ramenez pas, là ?

    Leçon de vie : Voyez-vous, c’est précisément parce qu’on est toujours mal placé, que critiquer c’est TROP COOL.

    Enfin bref, revenons à nos moutons (le choix de cet animal est, vous le verrez, particulièrement pertinent dans le cas d’école présenté ici).


    Le goût de la soumission

    Vous vous souvenez de la tête-à-claques-lèche-bottes-soumis de service que vous adoriez détester au lycée ? Mmh ? Maintenant, imaginez-le en plusieurs dizaines d’exemplaires. Oui, je sais, ça fait peur, mais c’est très exactement le genre de spécimens qui hantent les couloirs des cabinets de conseil. Leur graal ? Obtenir la meilleure note à leurs évaluations, récolter les félicitations, être aimé, reconnu et distingué par leur hiérarchie. Pour ça, ils sont prêts à se prosterner devant toute l’équipe de managers si besoin. En bons petits toutous (ou moutons comme je le disais plus haut), ils obéissent aveuglément à tout ordre de leur chef et cherchent continuellement à le satisfaire, sans chercher à remettre en cause l’autorité qu’on leur impose. La truffe humide en moins, ils sont un peu comme ces chiens qu’on voit sur les vieilles photos kitsch : l’air un peu benêt et les yeux qui crient « AIME-MOI ». C'est ça, exactement, ils sont inspportables.


    L’esprit de sacrifice 

    La plupart du temps, le consultant a un sens tout religieux de l’abnégation, qui se traduit par un dévouement absolu, absurde et robotique aux tâches qu’il a à réaliser. En période de stress, ne lui proposez pas un café ou une pause cigarette – événements sociaux par trop éloignés de son obsession professionnelle – vous risquez de faire griller les circuits de son disque dur. De même que l’élève sur-appliqué qui rend sa copie après tout le monde pour préciser, détailler et corriger encore et encore sa dissertation, de nombreux consultants ne bordent leur investissement professionnel d’aucune limite raisonnable. L’expression sans doute la plus stupide de cet état d’esprit est l’acharnement passionné avec lequel certains sont capables de soigner leur chef d’œuvre de Power Point jusqu’à en perdre leurs yeux.

    -      Mais tu te rends pas compte, les encadrés ne sont pas A-LI-GNÉS.
    -      Euh… non, je vois pas bien, en effet.
    -      Mais RE-GAR-DE !
    -      Ah, oui, y’a peut-être un petit décalage de 2 millimètres. C’est si grave ?
    -      Mais tu t’entends parler ? ça doit être PAR-FAIT.
     

    De mon point de vue, ce perfectionnisme maladif explique pour une bonne part les horaires démentes que s’imposent certains, qui s’usent à chercher la couleur la mieux assortie à leur bullet point n°3, sans tenir compte d’un fait majeur : 45% des clients s’en foutent royalement, 45 % lisent les supports en diagonale, 9% n’ont aucun goût esthétique et supportent les couleurs les plus dégueulasses sans sourciller. Cela laisse une marge d’échec de 1%, composé de névrosés psychopathes de l’alignement homogène et de la hiérarchisation des titres. Pas de quoi se priver d’au moins une sortie hebdomadaire du boulot avant 20h (je fixe des objectifs raisonnables aux malheureux consultants qui auraient croisé la route de cette modeste feuille de chou). De plus, il existe un truc imparable pour reconnaître facilement les clients les plus tatillons et minimiser le risque de soufflante : se renseigner sur leur parcours antérieur. O surprise, ce sont toujours d’anciens consultants…


    La poupée qui fait oui

    Conséquence des deux points précédents, le consultant a en règle générale une extraordinaire capacité à dire oui à tout. Absolument TOUT. 

    De ce fait, je suis persuadée que les cas de promotion canapé dont j’ai eu vent ne sont qu’un concours de circonstance :

    Manager – Tu me prépares le support de la réunion, pour dans… mmh… disons vingt minutes ?
    Consultant – Oui, oui, bien sûr.
    Manager – Tu pourras aussi m’aider pour la propale qui est à rendre demain matin ? On fait une nocturne ce soir.
    Consultant – Oui, oui, pas de souci.
    Manager – Ah et puis tu peux m’apporter un café, steuplé ? Sans sucre, avec un peu de lait.
    Consultant – Oui, oui, évidemment.
    Manager – Et ensuite, tu me suces ?
    Consultant – Oui, oui, aucun problème.

     

    Moi je vous dis : vivement que je monte dans la hiérarchie.

     


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  • J’ai récemment suivi une formation sur les us et coutumes exotiques qu’il convient de respecter lorsqu’on part en voyage loin, si loin, chez un client. Autant dire que j’avais beaucoup à apprendre. Ce n’était pas comme si ma maman m’avait appris à être polie et à écouter les autres ; la route de la courtoisie était encore bien longue à parcourir (j’ai pour habitude de mordre les gens très fort). C’est donc guillerette, exaltée et à l’affût de doctes leçons que je me suis rendue à ce cours qui promettait des moments mémorables.

    La formation (j’ai failli noter « la mascarade », mais faisons comme si) était fondée sur deux principes forts : l’anecdote exemplaire et le rappel des valeurs et motivations du consultant idéal.

    En guise d’introduction, nous eûmes droit à un petit laïus sur le caractère décisif de notre mise (des fois qu’on aurait eu l’idée de venir au boulot en pyjama). On nous indiqua notamment qu’une jeune consultante avait sévèrement été réprimandée, car « elle était très bien faite de sa personne, mais ses talons aiguille faisaient mauvais genre chez le client » (le sourire déplaisant que le formateur arbora à l’énoncé de cette phrase me fit dire que dans un autre contexte, il n’avait rien contre les filles qui faisaient mauvais genre).

    La suite fût toute aussi croustillante, grâce aux belles histoires qui nous furent narrées quant à des consultants ayant eu l’outrecuidance d’exprimer une opinion personnelle (exemples : « Je dois t’avouer que cette mission me motive assez peu », « Je suis pas sûr que ce soit la bonne méthode », « J’aime pas trop les salsifis »), ce qui les condamna les uns après les autres à rejoindre Satan et tous ses potes.

    Vint ensuite un temps fort de la formation : un sourire en coin, Gérard-je-coupe-les-cheveux-en-quatre nous lança, visiblement très inspiré : « Y a-t-il quelqu’un qui soit indifférent à la question pécuniaire ? ». Devant l’absence de réaction de l’audience (50% de « hin hin hin, ARGEEEEEENT !!! », 50% de léthargie), Gérard conclut que l’argent était notre plaisir ultime et, satisfait de partager un grand moment de complicité avec nous, commença à nous expliquer comment se la donner grave, la stratégie globale consistant à être un mouton-loup (soumis et avec les dents longues) (cette expression m’inspire des images bizarres-perverses, je me dispenserai de vous en faire part).

    Enfin, c’est le cœur allégé d’un poids que nous ignorions que nous sûmes bientôt que les consultants surpris trop souvent au téléphone pour des motifs personnels avaient intérêt à s’inquiéter pour leurs fesses, car les clients, ces « animaux fourbes » (ça leur ferait sûrement plaisir), n’aiment pas dépenser une blinde pour une équipe de prestataires et avoir l’impression qu’ils se tournent les pouces (non, SERIEUX ?). Nous apprîmes ainsi, sur le chemin de la sagesse, que, lorsqu’il s’agissait de sujets relevant de notre vie personnelle, parler, envoyer des mails ou discuter en ligne était MAL. Sauf si l’objectif sous-jacent était l’enrichissement effréné de notre cher réseau, bien sûr. J’en déduisis, à l’issue de ce petit couplet, que si le travail pouvait (devait ?) allègrement empiéter sur notre vie personnelle, l’inverse était sévèrement proscrit.

    Midi sonnait, le formateur se tut. L’air dramatique, il se tourna vers nous pour juger de l’effet de sa prose sentencieuse et s’assurer d’avoir planté en nous, jeunes âmes encore baignées de la fraîcheur de l’innocence, les germes de la soumission dévote et de l’appât du gain.

     

    A l’issue de cette formation ô combien enrichissante, il me fallait garder en mémoire toutes ces paroles si sages. Un petit PPT récapitulatif me semble ainsi de rigueur. Pour une fois que j’ai de vraies idées forces, je ne vais pas bouder mon plaisir :


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  • Régulièrement, la vie sociale du consultant le met face à un abîme menaçant de perplexité. A moins d’être complètement asocial et de vivre reclus dans l'open space (riez, mais je suis sûre que certains de mes collègues n’ont pas d’autre foyer) (ce sont les mêmes qui préfèrent pisser des slides de Power Point plutôt que se laver), à moins de cultiver l’entre-soi au point de n’avoir pour amis que des consultants (promesse de dépression nerveuse), nous sommes bien forcés d’affronter le monde extérieur et cette douloureuse et sempiternelle question : « Ouais ok, mais c’est quoi au juste ça "consultant" ? »

    Plusieurs attitudes sont possibles dans une situation de ce genre. On peut éluder lâchement la demande (« tu sais, ça va pas t’intéresser… »), on peut se la jouer hautain (« j’te jure, c’est bien trop complexe pour que tu comprennes »), ou bien on peut tenter l’impossible : décrire ce qu’est effectivement un consultant. 

    Ce n’est pas tant que notre activité quotidienne soit très compliquée (comme le faisait judicieusement remarquer une de mes collègues : « ce qui est rassurant dans notre métier, c’est qu’il ne demande souvent aucune compétence »), mais elle est constamment entourée d’un jargon répugnant, qui s’imprègne dans les moindres synapses de notre cher cerveau et nous empêche d’exprimer la moindre pensée dans une langue saine et fluide. Face à un (heureux) non-initié, nous nous retrouvons ainsi à tester des formulations bancales, qui nous enfoncent généralement dans un discours à l’obscurité telle que l’interlocuteur dévoile peu à peu la profondeur de ses orbites.

    -      Bah… Euh… Je fais du pilotage, et puis… de l’orga, du SI… tout ça…
    -      Attends, attends, je te suis pas. Du pilotage ? Tu conduis une bagnole de course ?
    -      (rire poli) Non, mais je fais de la gestion de projet, quoi.
    -      De quel genre de projet ?
    -      Bah en ce moment, par exemple, j’accompagne la mise en place d’un système d’information…
    -      Ah ok, j’ai pigé ! Tu fais de l’informatique, en fait !

    A ce stade de la discussion, vous pourriez très bien conclure que oui, oui, c’est ça, vous faîtes de l’informatique et tromper ainsi votre interlocuteur par confort, mais vous risquez alors d’être sollicité toute la soirée à propos de problèmes de logiciels machin-chose et d’interfaces bidule. Si vous êtes une bille en informatique, ce n’est définitivement pas la bonne option (croyez-moi sur parole, je sais ce que c’est que d’avoir l’air complètement à l’ouest). Théoriquement, il vous faudrait donc corriger et préciser. Mais, en ce qui me concerne, c’est généralement le moment où je ne peux m’empêcher de penser que je ne suis moi-même pas convaincue de connaître la réponse.

    C’est drôle : je suis payée à faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi.


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  • L'équipe de managers de mon département recèle de personnalités hautes en couleur. Il y a ceux que j'aime bien : le manager rigolo qui fait tout le temps des vannes pourries (j'ai un humour particulièrement pourri), le manager beau, intelligent, humain, drôle, musclé, fidèle, courageux, bref l'Homme Parfait (j'ai vu Pretty Woman quand j'étais petite, je suis conditionnée à croire à ces conneries) ou encore le manager papa-fiston, qui est le plus responsable du monde face au client et pousse des cris de joie quand on lui propose des nounours en gélatine (mon Oedipe est très compliqué). Et puis, il y a ceux que j'aime moins : le manager planqué qui en fout pas une et est passé maître dans l'art de déléguer ses tâches, le manager psychorigide-pète-sec-constipé et surtout… LE MANAGER TROUBLE (bruits d’éclair dans le ciel).

    Dans sa définition des sphères professionnelle et privée, le manager trouble n’est pas très clair (trouble - pas très clair… HUMOUR). Sa fâcheuse tendance à vous prendre pour son pote plutôt que pour un simple collègue vous met régulièrement dans des situations périlleuses. En effet, avec ce type de supérieur hiérarchique, vous finissez par vous demander si refuser une invitation à boire un verre après le boulot équivaut à un manque flagrant d’investissement et de motivation susceptible de plomber votre prochaine évaluation… Et puis, en jouant constamment sur le mode affectif, il parvient toujours à vous faire culpabiliser : demandez donc un report d’échéance pour la livraison d’un support, vous finirez par croire que vous avez égorgé sa mère et écartelé ses enfants.

    Bref, soit vous êtes aussi trouble que le manager trouble et, coup de bol, vous l’appréciez, ce qui en fait obligatoirement votre BFF (avec partage d’un pendentif-cœur et tout le tintouin), soit vous organisez en votre for intérieur une expédition punitive sanglante lorsque vous vous retrouvez à ses côtés à 2h du matin, pour bosser sur une proposition commerciale débile, et qu’il ne cesse de vous répétez « c’est trop cool de bosser tous ensemble ! ».

    Toutes ces considérations pour m’épancher sur ma vexation de pou de ce matin. D’humeur manifestement guillerette, il s’est lancé dans une tournée bises + « ça va ? » dans l’open space, ponctuée de petits compliments plus ou moins sincères du genre « jolie robe ! », « hey, super ton compte-rendu ! », « t’as une mine resplendissante, dis-moi ! ».

    Tout ce que j’ai récolté, c’est un « t’as l’air fatigué, toi, t’as quoi sur la joue ? »

    J’ai un bouton. Et toi t’es moche


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  • Nous subissons tous les injustices ordinaires du monde du travail. Un tel reçoit une promotion injustifiée, une telle bénéficie sans raison apparente d'une journée de congé supplémentaire, tandis qu'une autre obtient à tous les coups la mission ou le projet qu'elle convoite. Pendant ce temps, vous ruminez votre jalousie en silence, convaincu d'avoir été floué.

    Pour faire de l'égalité des chances autre chose qu'un concept creux, donnons-lui du contenu en s'assurant que tous les individus - sans considération de classe, de culture ou de religion - disposent des armes les plus efficaces pour affronter le monde du travail.

    Révolutionnons la méritocratie et offrons à chaque citoyen en herbe la certitude de construire dès son plus jeune âge les fondations nécessaires à l'accomplissement et l'épanouissement de l'adulte qu'il deviendra.

    Garantissons aux générations à venir des lendemains chantants, où joie et équité seront le terreau d'un monde meilleur, débarrassé des "c'est pas juste" et des "pourquoi pas moi ?".

    Bref, rendons obligatoires les cours de léchage de culs.


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